Avertissement : il ne faut pas prendre trop au sérieux ces personnages, ce sont des danseurs mondains.
Car derrière ce titre, il y a à la fois un vaudeville et une tragédie.
Edgar et Alice, le Capitaine et l’ancienne actrice, exécutent une danse déchirante parce que cousue de peurs, d’attachements, de renoncements, de défiance et de quelques soleils perdus.
La bêtise n’est pas, comme dans le théâtre de Boulevard, le révélateur : ici, ce sont les ruses de la cruauté qui nous dévoilent des gouffres de solitude. Et c’est au-dessus de ces abîmes qu’un couple tient, avec finalement toute la légèreté requise pour l’exercice conjugal. Strindberg nous pousse ainsi dans nos retranchements intimes, nous maintenant face à ce spectacle grâce à la jubilation du Guignol. Une prouesse de funambule avec un humour véritable : nous sommes perpétuellement sur une crête, dans des hauteurs, piégés par l’étroit sentier qui nous mène (ce qui donnerait l’occasion d’une belle chute ; et comme au cirque, c’est cette chute que le public guette à chaque instant).
L’exaspération et l’incompréhension sont au centre. Ainsi le jeu doit être excessif, exacerbé, mélodramatique. Edgar et Alice connaissent trop leurs subterfuges ; ils ont finalement renoncé à toute vie sociale, et semblent vouloir remplir ce vide par une infinie palette d’émotions, jouée, rejouée, surjouée...
Note d’intention
La Danse de mort est une œuvre vertigineuse. On a déjà beaucoup écrit sur Strindberg et sa misogynie. Dans cette pièce, de l’homme et de la femme aucun n’est à sauver. Nomenclature parfaite du désamour conjugal.
La guerre des sexes s’est muée en guerre des tranchées : on prend, on reprend, sans cesse, sans trêves. Tous les outils de la perversion sont mis à contribution : chantage, mensonge, honte... Avec cette oeuvre, nous sommes à cheval entre ces deux pays limithrophes que sont le vaudeville et la tragédie. Le spectacle du ridicule et de l’inconsolable : la mesquinerie nous repêche du tragique ; la tentative toujours renouvelée de formuler le sens de l’existence terrestre nous sauvant du simple Boulevard.
Cette danse a un rythme lancinant et électrique. Tout pourrait se produire, mais rien n’arrive jamais, Strindberg laisse ainsi aller ces personnages sur une planche savonnée. Rien n’arrive, rien ne délivre, et c’est un drame. C’est bien là l’essentiel du drame. Il s’agira de faire percevoir l’enfermement qui accélère et plonge le couple dans des joutes sans fin au point où on se croit parfois chez Feydeau, parfois perdu dans un film de Bergman.
La visite de Kurt, le cousin, l’ami d’enfance, viendra révéler leur folie ; il mettra en abyme cette vieillesse et donnera permission au jeu car ils seront pour quelques jours trois. Il y a toujours un tiers au milieu d’un couple, il y a toujours une troi- sième partie pour faire du théâtre : entre l’acteur et le fou, il y a toujours le public. Car ici entre le sérieux et le futile, le jeu hésite et s’égare tout le temps derrière des masques cireux : dans les eaux du mensonge, du crime, de la calomnie et des cœurs brisés. Kurt deviendra leur spectateur et leur instrument, retourné constamment par l’un et par l’autre, goûtant cet enfer privé. Deux êtres enchaînés que seule la mort peut sauver l’un de l’autre, et surtout d’eux-mêmes. Leur naufrage conjugal étant le paravent d’un désastre encore plus grand et que chacun de ces deux là ne veut surtout pas voir. La commodité de danser pour attendre la mort. Une joie demeure malgré tout dans la frénésie de leur parole.
La pièce
August Strindberg (1849-1912) est écrivain, dramaturge et peintre suédois. Mysogine et très critique des modèles traditionnels du mariage et de la famille.
La Danse de mort est une pièce de théâtre en deux volets écrite en 1900. Elle se situe à la charnière entre deux périodes de l’œuvre de Strindberg, se détachant du naturalisme dont elle est issue pour entrer dans le symbolisme qu’elle préfigure. Dans une forteresse isolée, sur une île isolée, Alice et le Capitaine vivent en tête à tête, rejetés et méprisants du reste de l’humanité, se haïssant mutuellement, et sans doute ne s’aimant pas eux-mêmes. La pièce commence comme un morceau de théâtre absurde et nous montre deux personnages qui cherchent à meubler l’ennui en l’embellissant de querelles et de jeux triviaux. L’événement provient de l’extérieur en la personne de Kurt. Cousin d’Alice, ancien ami du Capitaine. Ani- mé de bonnes intentions, il n’avait jamais imaginé la déchéance qui les guetterait à l’issue de cette union. Progressivement il va découvrir la réalité de leur vie sur cette île et cherche à comprendre les raisons qui ont conduit Alice et le Capitaine, de l’amour à la haine.
« La Danse de mort ! A beaucoup de spectateurs ce titre peut paraître lugubre. Il aurait pu à l’avance décourager le public. Strindberg avait beaucoup hésité à intituler son drame ainsi. Or il opta pour La Danse de mort, car il souhaitait primitivement
faire danser son héros aux accents de La Danse macabre de Saint-Saëns. Mais, Ibsen ayant déjà utilisé le thème essentiel de cette composition pour souligner un effet de terreur dans John Gabriel Borkman, Strindberg dut se rabattre sur La Marche des Boyards.
La Danse de mort (1900) se déroule sur une île, dans un monde bien clos, nous sommes dans la tour d’une forteresse - qui constitue pour les protagonistes une arène, un lieu de supplice où ils servent mutuellement de bourreau.
Comme dans tout le théâtre « naturaliste « de Strindberg, La Danse de mort est une variation sur l’amour-haine, sur les horreurs de l’enfer conjugal, sur ces luttes qui opposent le mari et la femme. La guerre des sexes reste, à ses yeux, un fléau dont souffre organiquement le genre humain et qui durera autant que l’humanité. Les créatures de Strindberg au pire de la tourmente, continuent de se déclarer leur amour. Réel est le décor unique, l’intérieur d’une tour ronde dans une forteresse, familiers aussi les personnages, un capitaine qui termine sa carrière, une comédienne qui regrette d’avoir dû quitter le théâtre où elle devenait une femme d’officier. Dans cette pièce, rien ne ressemble à l’enchaînement tragique et implacable des faits qui aboutit à la catastrophe finale de Père. Martin Lamm, critique suédois, disait : « le drame est rempli d’incidents violents et bizarres mais il laisse une impression d’étouffante immobilité qui ne le rend que plus difficile à supporter ». Le lieu scénique est comme le symbole de la terre-prison où l’humanité purge, génération après génération, sa peine de travaux forcés.
En dépit de son titre effrayant, La Danse de mort compte parmi les drames de Strindberg que l’on joue le plus souvent en Suède et par delà les frontières le plus souvent en France. »
Extrait de Maurice Gravier « La place de La Danse de mort dans la vie de Strindberg » In Théâtre Public n°73, janvier-février 1987.
La Danse de mort (teaser juin 2017) from MC2: Grenoble on Vimeo.
Distribution
- Mise en scène, Scénographie - Artiste associé Scène Conventionnée : Benjamin Moreau
- Alice : Anne Sée
- Edgar : Gilles Arbona
- Kurt : Jean-Philippe Salerio
- Lumières : Joël Fabing
- Costumes : Nicolas Fleury
Production L'ATELIER - Compagnie Théâtrale
Coproduction Scène Conventionnée Théâtre et Théâtre Musical Figeac Saint-Céré / MC2 Grenoble (compagnie soutenue par la Ville de Grenoble et le département de l’Isère)
Durée : 2h10 + entracte